
Les shamisen résonnent dans la pénombre du théâtre. Sur scène, deux maiko glissent avec une grâce hypnotique, leurs kimonos chatoyants captant la lumière. En soixante minutes chrono, Gion Corner défie le temps en condensant sept disciplines artistiques ancestrales. Pas de superficialité ici : chaque séquence capture l'essence d'un art millénaire, rendu accessible sans perdre son âme.
Situé dans le Yasaka Hall, annexe du prestigieux théâtre Gion Kōbu Kaburenjō, ce lieu a été conçu en 1962 pour offrir aux visiteurs un panorama complet de la culture japonaise traditionnelle. Le défi était audacieux : comment présenter des formes artistiques qui nécessitent normalement des heures d'appréciation, parfois huit heures pour un spectacle de nô complet, en un format digeste d'une heure ? La réponse réside dans une sélection minutieuse des moments les plus emblématiques de chaque discipline.
Le quartier de Gion Kōbu, le plus vaste des cinq quartiers de geishas de Kyoto, sert d'écrin idéal à ce théâtre. Ici, l'art des geiko n'est pas qu'un folklore touristique mais une tradition vivante qui continue de s'épanouir dans les ochaya, ces maisons de thé où elles divertissent leurs clients.
Le spectacle s'ouvre ou se conclut invariablement avec le kyomai, cette danse développée à Kyoto au 17e siècle dans les salons de thé. Deux maiko de Gion Kōbu, appartenant à l'école Inoue, exécutent des mouvements d'une économie fascinante. Chaque geste compte, inspiré du théâtre nô et des danses de cour impériale. L'expression des danseuses reste sereine, laissant au spectateur la liberté d'interpréter les émotions. Les kimonos somptueux et les ornements floraux dans leurs coiffures changent selon les saisons.
Un maître de thé de la tradition Urasenke prépare du matcha sur scène. Les gestes sont millénaires, codifiés jusqu'à l'angle du fouet à thé. Cette chorégraphie silencieuse incarne les quatre principes fondamentaux : harmonie, respect, pureté, tranquillité. Pour ceux qui optent pour le siège avec expérience du thé, ils peuvent déguster le breuvage vert préparé selon ces rituels ancestraux.
L'art floral japonais se déploie en direct. Un maître ikebana compose un arrangement floral pendant que résonne le koto. Contrairement aux compositions florales occidentales qui visent l'abondance, l'ikebana célèbre l'espace vide, l'asymétrie et la saisonnalité. Un bourgeon qui s'ouvre ou une feuille qui se fane racontent autant qu'une fleur épanouie.
Cette cithare japonaise en bois de paulownia, longue de 1,80 mètre, produit des sons cristallins. Le musicien utilise trois onglets pour pincer les treize cordes. Au programme, souvent des pièces de Yatsuhashi Kengyo, le compositeur du 17e siècle qui démocratisa l'instrument, auparavant réservé à l'aristocratie et à la musique de cour gagaku.
Cette danse-théâtre venue de Chine et de Corée au 6e siècle est l'une des plus anciennes formes musicales au monde. Un danseur en costume flamboyant, souvent orné de motifs fantastiques, exécute des mouvements stylisés et puissants. La pièce présentée, Ranryō-ō, raconte l'histoire du beau général qui cachait son visage derrière un masque féroce pour terroriser ses ennemis.
Cette forme comique traditionnelle, jouée en intermède des pièces de nô, dépeint avec humour les travers de la société féodale. Les acteurs s'expriment dans un japonais ancien mais les situations demeurent universelles. Même sans comprendre chaque mot, le public rit des péripéties burlesques.
De mars à mai et en septembre, une scène de nō, ce théâtre masqué médiéval, est présentée. Le reste de l'année, c'est le bunraku, théâtre de marionnettes inscrit au patrimoine immatériel de l'UNESCO, qui prend le relais. Les marionnettes d'un mètre de haut, manipulées par trois artistes vêtus de noir, donnent vie à des drames poignants.
Le conseil d'ami : évitez absolument le dernier rang du théâtre. Les sièges ne sont pas en gradins et la vue y est obstruée. Les places premium, équipées de tablettes tactiles offrant traductions et explications détaillées, valent leur surcoût pour les néophytes désireux de saisir toutes les subtilités.
Le spectacle se déroule deux fois par soirée, à 18h et 19h, tous les jours de mi-mars à fin novembre. Pendant l'hiver, de décembre à mi-mars, les représentations n'ont lieu que du mardi au vendredi. Réservez en ligne pour garantir votre place, le théâtre affiche souvent complet. Les billets s'achètent également au guichet le jour même selon disponibilité.
Le hall d'entrée abrite une galerie photo dédiée aux maiko, exposant leurs ornements capillaires, leurs différentes coiffures et des images des événements annuels des cinq quartiers de geishas de Kyoto. Une introduction parfaite avant le spectacle.
*Informations sujettes à variation
Sauf dans ce petit théâtre. Je vous conseille vraiment l’expérience pour découvrir ce métier mal compris en Occident. On est séduit par l’élégance et la maîtrise de chaque geste, qui laisse entrevoir des heures de travail.