
Le soleil décline sur la mer d'Arabie. Des structures de bois et de bambou se découpent dans la lumière dorée, telles des sculptures géantes. À Fort Kochi, six à huit installations monumentales défient la gravité, abaissant et remontant leurs vastes filets dans un ballet rythmé qui dure depuis six siècles. Les Chinese Fishing Nets ne sont pas qu'une curiosité touristique : elles racontent l'histoire d'une ville carrefour, là où les routes maritimes de la soie croisaient les épices du Malabar.
Entre 1350 et 1450, lorsque les jonques de l'amiral Zheng He mouillaient dans le port de Cochin, elles apportaient avec elles bien plus que de la porcelaine et de la soie. Ces techniques de pêche, venues des côtes du sud de la Chine, ont trouvé leur place sur les rivages du Kerala. Les marchands de la cour de Kubilai Khan les introduisirent, et les pêcheurs locaux les adoptèrent, les adaptant aux marées et aux profondeurs de l'estuaire.
Localement appelés cheenavala, littéralement "filets chinois" en malayalam, ces installations témoignent d'une époque où Kochi était un port cosmopolite majeur. Certains évoquent une autre origine : les colons portugais de Macao, qui contrôlèrent les deux villes au 16e siècle. Les noms portugais donnés aux différentes parties des filets plaident en faveur de cette théorie.
Chaque installation mesure environ dix mètres de haut et déploie un filet de vingt mètres carrés au-dessus de l'eau. Le principe est d'une simplicité fascinante : des poutres de teck et de bambou forment un levier géant, contrebalancé par des pierres de trente centimètres de diamètre suspendues à des cordes. Le système est si bien équilibré que le poids d'un homme marchant sur la poutre principale suffit à faire plonger le filet dans l'eau.
Quatre à six pêcheurs opèrent chaque installation. Leurs muscles saillants se tendent sur les cordes, leurs silhouettes se découpent contre le ciel. Le filet reste immergé cinq à quinze minutes, le temps que les poissons et crustacés s'y égarent. Puis les hommes tirent ensemble, dans un effort synchronisé. Les pierres, une à une, viennent se poser sur une plateforme tandis que le filet remonte, dégoulinant.
Chaque filet possède une profondeur d'opération fixe. Impossible de les utiliser en continu dans les eaux tidales. Selon l'état de la marée, certains filets travaillent tandis que d'autres se reposent. Cette danse avec les éléments impose son rythme aux pêcheurs, qui connaissent par cœur les cycles lunaires et les courants.
La prise est souvent modeste : quelques poissons, des crevettes, peut-être un crabe. Les passants achètent le poisson frais immédiatement, et des échoppes voisines le cuisent sur place. L'odeur des grillades se mêle à l'air iodé.
Pour admirer les filets chinois dans toute leur splendeur, rendez-vous à la place Vasco da Gama, cette promenade étroite qui longe la plage de Fort Kochi. C'est ici que les installations s'alignent, créant une perspective spectaculaire. Les vendeurs de rue proposent noix de coco fraîches et beignets de banane. Des artistes locaux exposent leurs œuvres. L'atmosphère est vibrante sans être chaotique.
À l'aube et au crépuscule, la lumière transforme les structures en silhouettes théâtrales. Les photographes du monde entier se pressent pour capter cet instant où les filets se détachent sur un ciel embrasé. C'est devenu l'une des images les plus emblématiques du Kerala, au même titre que les backwaters ou le kathakali.
Le conseil d'ami : visitez tôt le matin entre 6h et 8h ou en fin d'après-midi après 17h, lorsque les pêcheurs sont réellement à l'œuvre. En milieu de journée, les filets sont souvent au repos et vous risquez de tomber sur des "pêcheurs" qui demandent de l'argent pour poser ou simuler une démonstration. L'authenticité se trouve aux heures où la pêche se pratique vraiment.
Les techniques modernes de pêche rendent ces méthodes moins rentables. L'approfondissement du chenal pour le terminal à conteneurs de Vallarpadam a réduit les prises. Des dix-sept filets d'origine, seuls huit subsistent aujourd'hui, dont trois comptent parmi les plus grands au monde. Les propriétaires privés qui les entretiennent renforcent les structures tous les dix ans environ, souvent avec des matériaux modernes qui altèrent leur caractère traditionnel.
La survie de ces monuments vivants dépend d'un équilibre fragile entre rentabilité touristique et pratique ancestrale. Les voir en action reste un privilège, une fenêtre sur six cents ans d'histoire maritime.
*Informations sujettes à variation