


Le 5 février 1883, à 16h53 précises, Claude Monet posait son chevalet sur la plage de galets. Face à lui, l'arche monumentale découpait un ciel orangé, l'Aiguille se dressant comme une sentinelle de pierre. Des astronomes texans ont retrouvé cette minute exacte en analysant la position du soleil dans son tableau. Aujourd'hui, trois millions de visiteurs par an viennent chercher la même lumière.
Cette paroi de 74 mètres domine le versant ouest de la baie d'Étretat. Son arche spectaculaire n'est pas l'œuvre des vagues, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Une rivière souterraine coulait autrefois parallèlement à la côte et a creusé son lit dans la craie. L'océan n'a fait qu'élargir le passage au fil des millénaires. L'Aiguille, haute de 55 mètres, est le vestige d'un ancien pilier de cette arche effondrée.
Maurice Leblanc, le père d'Arsène Lupin, a transformé ce rocher en mythe littéraire. Dans son roman L'Aiguille creuse de 1909, le gentleman-cambrioleur y découvre le trésor des rois de France. En 1927, l'écrivain fit graver les lettres D et F dans la roche, indices supposés menant au secret. La lettre D a disparu en 2021, emportée par l'érosion.
Monet a peint plus de 50 tableaux de ces falaises entre 1868 et 1886. Il travaillait sur plusieurs toiles simultanément pour capturer les variations de lumière au fil des heures. Gustave Courbet, Eugène Boudin et Henri Matisse ont également planté leurs chevalets sur ces galets. Le Musée des Impressionnismes de Giverny conserve plusieurs de ces œuvres, témoins d'une obsession collective pour ce paysage changeant.
La lumière de fin d'après-midi reste la plus recherchée. Elle embrase la craie blanche de teintes dorées et roses, exactement comme Monet l'avait immortalisée. Le matin offre des contrastes plus durs, mais les photographes apprécient l'absence de contre-jour sur l'arche.
À marée basse, des bassins rectangulaires se révèlent sur l'estran rocheux. Le marquis de Belvert les fit creuser en 1777 pour affiner des huîtres plates de Cancale. Deux sloops, la Syrène et la Cauchoise, livraient les coquillages qui partaient ensuite en bourriches vers Versailles. La reine en raffolait. Les vestiges de cet élevage royal sont visibles sous les algues vertes.
Cette excavation dans la paroi s'atteint par une passerelle métallique héliportée il y a une vingtaine d'années. La légende raconte que trois jeunes femmes s'y réfugièrent pour échapper à un seigneur cruel du château de Fréfossé. Le panorama sur le village et la falaise d'Amont y est saisissant. L'accès est actuellement interdit par arrêté municipal depuis avril 2025 pour des raisons de sécurité.
Le sentier qui longe le Golf d'Étretat mène vers une seconde arche, plus massive encore. La Manneporte culmine à près de 90 mètres. Maupassant affirmait qu'un navire pouvait y passer toutes voiles dehors. La crique du Petit-Port, en contrebas, abrite de petites cascades appelées « les Pisseuses », alimentées par des sources qui suintent de la falaise.
Éléments à repérer sur le parcours :
Conseil d'ami : Le tunnel du « Trou à l'homme » qui traverse la falaise vers la plage de Jambourg est officiellement interdit depuis 2025. Des dizaines de promeneurs s'y font piéger chaque année par la marée montante et les interventions de secours sont désormais facturées aux imprudents. Si vous souhaitez voir l'Aiguille depuis la plage, restez sur la plage principale et consultez impérativement les horaires de marée.
*Informations sujettes à variation